Bilan d'une construction bioclimatique sur terre-plein ventilé en Corse [Interview d'un architecte auto-constructeur]
Par Olivier d'ImmobilierEcologique.fr le lundi 24 février 2014, 10:34 - Lien permanent
Jean-Claude est architecte de formation et auto-constructeur de maisons mais aussi de voiliers.
A travers son témoignage et la seule volonté d’être utile, Jean-Claude nous livre ici gentiment son retour d’expérience et son avis sur son auto-construction bioclimatique en Corse.
Un immense merci à lui puisqu'il a été le 1er à accepter une interview pour ImmobilierEcologique.fr.
Mise à jour : Avis aux amateurs puisque cette belle maison en bois en Corse-du-Sud est à nouveau à vendre.
Construction bioclimatique : les motivations, le contexte
Pour que les lecteurs vous connaissent mieux, pouvez-vous tout d’abord nous décrire brièvement votre parcours et ce qui vous a amené à la construction bioclimatique ?
Je suis architecte de formation mais mai 68 étant passé par là, j’ai changé de vocation… Ont suivies plus tard 8 années d'auto-constructions de voiliers en différents matériaux puis 8 autres années de vie familiale sur le dernier construit.
Après un retour à la terre ferme, moult péripéties se sont enchaînées dont 3 auto-constructions de maisons assez importantes.
Mon leitmotiv est : construire plus intelligent, plus propre. Le bioclimatisme et l'écologie m'ont redonné le goût de ma formation initiale, les ouvrages de Jean-Pierre Oliva y sont pour pas mal.
Vous souhaitez apporter quelques précisions contextuelles pour commencer ?Je voudrais avant préciser en sorte de liminaire que nombre de choix sont affaire de compromis (maître mot bien souvent) pouvant dépendre de l'âge et des capacités physique de l'auto constructeur (71 ans et 50 kg pour ma petite personne), des disponibilités locales (très limitées en Corse) .
Par ailleurs point déterminant bien entendu, le climat. Il est évident que si je construisais en Afrique, ou à l'opposé dans un pays nordique, les choix et stratégies seraient très différents. Dans le premier cas, je privilégierais l'inertie thermique, c'est à dire la masse, dans l'autre l'isolation, c'est à dire la légèreté. Deux notions qui à priori s'opposent ou qui demandent à être conciliées.
Construction bioclimatique : les retours d’expérience en Corse
Quelle a été votre 1ère expérience d’auto-construction bioclimatique en Corse ?
J'ai en 1992 construit ici en Corse à 900 m d'altitude ma première maison ossature bois, très légère (surélévation d'un existant, 120 m² au sol plus grenier habitable), où j'ai vécu pendant 8 ans.
Le retour d'expérience est clair : si la maison se chauffait très facilement avec un seul gros Godin, l'été faisait subir des surchauffes par manque évident d'inertie.
Quelques remèdes existent et permettent d’y palier bien sûr. En l'occurrence volets massifs de 44 mm, surventilation nocturne, pergolas végétalisées, etc.
Quel est votre retour d’expérience « thermique » de votre dernière maison écologique en Corse ?Cette nouvelle construction ossature bois permet peut être un comparatif, puisqu'elle présente 2 appartements identiques, 100 m² chaque et superposés. Rez-de-chaussée sur hérisson ventilé, et l'étage n'offrant donc pas cette inertie mais un plancher isolé par 24 cm de ouate de cellulose.
Les deux habitats n'étant pas occupés, et non chauffés, on peut relever thermomètres à l'appui :
- 4 degrés plus frais pour le rez-de-chaussée en été,
- 4 degrés plus chaud en périodes que je vais qualifier de fraîches (environ 5 degrés extérieur).
Enfin, pendant une période froide pour la région (littoral, 2,5 km à vol d'oiseau de la mer), 0 à -2 °C extérieur pendant 8 jours, il faisait 3 °C à l'étage et 11 au rez-de-chaussée !
Je vais tout de même me garder d'en conclure qu'un pareil gain n'est dû qu'à l'inertie. En effet, l'étage se trouve beaucoup plus exposé aux vents et offre sa protection au rez-de-chaussée.
La question étant donc : comment quantifier les bénéfices ? Un thermicien peut-être le pourrait.
Hérisson ventilé, dalle, chape et revêtement : choix & réalisation
Est-ce que le lieu de construction est humide ? La terre est-elle argileuse ?
Le lieu de construction n'est ni humide, ni argileux, mais plutôt rocheux et tufeux.
Le choix d’un hérisson est en faveur de l’apport d’inertie thermique, point faible des constructions bois mais quelles auraient pu être les autres alternatives et pourquoi se prêtaient-elles moins à la situation ?Obtenir de l'inertie en optant pour des cloisons lourdes est certainement une excellente option. Et en l'occurrence aurait offert à l'étage l'inertie qui lui fera défaut. Mais cela suppose aussi des travaux nettement plus conséquents, et techniquement les renforts nécessaires au support des charges.
Ne pas l'avoir réalisé (pour l'étage donc surtout) relève avant tout d'un allègement des tâches. Quitte à le regretter bien sûr. Je me suis contenté de l'apport d'un poêle de masse - 1 tonne - et d'un mur en banché - 2,5 tonnes à l'étage - sur lequel il s'adosse.
Pouvez-vous nous décrire comment vous avez géré la ventilation du hérisson ? Un hérisson permettant d’accumuler la chaleur en hiver et de restituer la fraîcheur en été, sa ventilation n’est-elle pas alors contre-productive vis-à-vis du bénéfice lié à son inertie thermique ?Le hérisson est ventilé par 8 prises d'air. 2 par façades. Il est plus que probable que cette ventilation fasse baisser le rendement thermique. L'absolue certitude de non reprise d'humidité permettrait peut-être de s'en passer. Il faut là aussi mesurer les risques et estimer où placer le curseur.
On peut jouer sur le nombre de prises et la longueur des drains de ventilation, 2 m chaque pour mon choix.
Comment avez-vous géré le passage des autres réseaux (eau, électricité, ...) ?Les réseaux ne passent pas dans le hérisson mais en extérieur. L'électricité est noyée dans la chape.
Quelle épaisseur fait le hérisson ? Quel est le calibre des pierres ? Faut-il prévoir un calibre différent pour le fond et le dessus ? Quel type de pierre faut-il choisir ? Certains types doivent-ils être proscrits ?Les cailloux vont de 2 à 12 cm environ. Ils sont de matière dure. Une matière poreuse est certainement à proscrire.
Les plus gros ont été placés sur le fond (important surplus de travail ! ). La couche finale est du gravier afin d'éviter que le mortier ne file. Étendre un géotextile conviendrait parfaitement. L'épaisseur est de 30 cm ce qui par la surface représente environ 26 m cube et plus de 50 tonnes à mettre en place !
Qu’avez-vous prévu pour gérer le rejet des eaux ?Les 100 m² de terrasses couvertes en périphérie (plus gouttières) assurent un bon éloignement des eaux de pluies. Je n'ai donc pas réalisé de drain pour le rejet des eaux. Mais méfiance, celui-ci s'avère nécessaire dans la plupart des cas.
Quel isolant avez-vous retenu pour l’isolation périphérique, pourquoi ce choix et quelle est son épaisseur ? Quelles solutions avez-vous retenu pour la dalle et la chape et pourquoi ?Les pertes thermiques sont réduites au centre du bâti et vont s'augmentant vers la périphérie. Là encore curseur à placer. L'isolation périphérique horizontale placée sous le hérisson sur 60 cm fut mon choix. Le relevé vertical de l'isolant m'apparaît comme encore plus évident et nécessaire. L'isolant désiré était le verre cellulaire. Faute de pouvoir en disposer je me suis contenté de polystyrène extrudé haute densité de 6 cm d'épaisseur. Du liège aurait été un choix plus écologique bien entendu.
Idem pour la dalle mortier de ciment de 10 cm. Seul choix possible, en livraison toupie ici. La chape mortier de chaux de 6 cm fut réalisée à 2 avec la bétonnière. Ce qui n'est pas un mince effort déjà ! Le désir était de l'obtenir en "ciré". Un dosage en chaux insuffisant ne l’a pas permis.
Pourquoi ne pas avoir préféré une dalle chaux-chanvre ?Une dalle chaux chanvre aurait fait gagner en isolation (en proportion des dosages), mais perdre d'autant en inertie. Bien garder présent à l'esprit lourd = inertie, léger = isolation.
Pourquoi la dalle est-elle qualifiée de flottante et pourquoi est-ce un avantage ? Vous avez un poêle de masse, avez-vous coulé une semelle porteuse ?La dalle est dite "flottante" lorsqu'elle est indépendante des murs et fondations. Ce qui lui évite en cas de tassement différentiel de se rompre ou fissurer. En l'occurrence je ne l'ai pas armée, sauf très localement sous le poêle de masse.
Vous avez retenu un revêtement de sol en linoléum, pourquoi ce choix plutôt qu’un autre type de revêtement qui aurait pu renforcer l’inertie thermique ?Le linoléum fut choisi pour sa qualité anallergique, l'un des futurs occupants étant hyper allergique ! Un carrelage ajouterait encore un peu de masse.
Quel a été approximativement le prix de la réalisation complète de cette dalle sur hérisson ventilé et de la chape en chaux ? Quel aurait été le coût si vous ne l’aviez pas réalisé en auto-construction ?Malheureusement je n'arrive pas à gérer les coûts détaillés, l'essentiel de mes forces passe dans l'acte constructif... Ce qui ne m'empêche pas au moment des choix de tenir compte desdits coûts et de les mesurer.
Les matériaux presque tous importés ici subissent de sérieuses augmentations, et la main d’œuvre est très chère ! Je pense que ma pratique de l'autoconstruction quasi-complète me permet de diviser le coût final par 3 à 4...
Diriez-vous que sa mise en place est accessible à un auto-constructeur ou mieux vaut-il être accompagné d’un professionnel ?Il me semble que presque tous les travaux sont à la portée de l'amateur qui s'en donne la peine. Peine n'étant pas un vain mot.
L'essentiel commence peut être avec la conception. Simplicité + simplicité + simplicité. Gare aux délires et projets mégalomaniaques !!!
Il y a des connaissances à acquérir. Il est bon de s'en entourer lorsque c'est possible. Il existe d'excellents ouvrages qui sont sans doute la base indispensable. La bible étant "La conception bioclimatique" de Jean-Pierre Oliva et Samuel Courgey qu'il convient de lire et relire et relire et assimiler. Une bonne lecture de "L'isolation écologique" du même Jean-Pierre Oliva sera d'un pareil bon usage.
Vous avez auto-construit une autre maison écologique toute proche de celle dont on parle ici, quel est brièvement votre retour d’expérience ?La construction voisine est elle en monomur de terre cuite. Expérience. Mais c'est avec plaisir que j'en suis revenu au bois !
Un grand merci, Jean-Claude, de nous avoir livré ce riche retour d’expérience !Bioclimatisme, inertie thermique des maisons bois, hérisson ventilé, dalle, chape,... : et vous ?
Avez-vous des remarques ou des conseils ?
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Crédits photos & images
- La pergola végétalisée : la propriétaire de gîtes écologiques à vendre en Lot-et-Garonne (47)
- la tirelire : Amine Agrebi Flickr CC BY 2.0,
- les autres photos et le croquis : Jean-Claude, le propriétaire de la maison écologique en Corse,
- les images des livres : Amazon.
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